Les langues se délient à propos de l’agent orange

Les victimes des défoliants déversés par l’armée américaine n’ont plus peur de parler. Si des associations tentent de faire reconnaître leurs souffrances, le gouvernement vietnamien, lui, privilégie ses relations avec Washington.


 DE HANOI le 11.05.2006|Ngoc Nguyen et Aaron Glantz


 Aujourd’hui, le Vietnam est toujours confronté aux énormes conséquences socio-économiques du conflit militaire qui l’opposa aux Etats-Unis dans les années 1960 et 1970. Les effets à long terme de l’agent orange utilisé par les Américains figurent tout en haut de cette liste. De 1961 à 1971, l’armée américaine a déversé quelque 83 millions de litres d’herbicides, extrêmement toxiques, notamment l’agent orange, essentiellement sur le Vietnam mais aussi sur le Laos et le Cambodge, afin de chasser de la jungle les guérilleros qui s’y cachaient. L’agent orange contient des traces de dioxine, une substance toxique cancérigène pour l’homme lorsqu’elle est diffusée à haute dose.

Un premier groupe de victimes vietnamiennes a demandé une réparation légale et une indemnisation aux entreprises américaines, notamment Dow Chemical et Monsanto, qui fabriquaient à l’époque l’herbicide. Dans leur plainte déposée à New York, le collectif soutient que le défoliant a provoqué de nombreux cas de malformation congénitale, de fausse couche, de diabète et de cancer, et que son utilisation devrait être considérée comme un crime de guerre commis contre des millions de Vietnamiens. Les industriels, eux, affirment qu’aucun lien scientifique n’a jamais été établi et qu’il faudrait tenir l’Etat américain, et non les entreprises, pour responsable de l’emploi du produit chimique. Le 13 mars 2005, le juge américain a rejeté la plainte déposée contre les sociétés, la déclarant dénuée de tout fondement juridique. Selon les organisations de soutien aux victimes, le tribunal a subi d’intenses pressions de la part du ministère de la Justice américain pour qu’il rende un verdict défavorable aux plaignants, Washington craignant de créer un précédent dans lequel s’engouffreraient d’autres pays ravagés par les interventions militaires américaines. L’Association vietnamienne des anciens combattants a fait appel, et les plaidoiries, initialement prévues pour le mois de mai, devraient avoir lieu en août prochain.

L’affaire revêt une importance particulière pour les organisations locales de la société civile, encore peu développées mais de plus en plus revendicatrices. A Hanoi, une conférence internationale organisée les 16 et 17 mars derniers a examiné les conséquences sociales du défoliant utilisé en temps de guerre – une rencontre qui, il y a quelques années encore, n’aurait sans doute pas été possible sans le soutien des autorités. Jusqu’à présent, les études sur les effets du produit chimique portaient principalement sur les aspects scientifiques, qui prouvent un lien entre l’exposition à la dioxine et de nombreuses maladies. L’Association vietnamienne des anciens combattants a également mis en avant des milliers de cas avérés de malformation congénitale.

Des dizaines d’années durant, le gouvernement vietnamien a publiquement dénoncé, preuves à l’appui, l’impact de l’agent orange sur les populations civiles dans le cadre du musée des Crimes de guerre, à Hanoi.

Mais, alors que ses relations avec Washington tendent à se réchauffer, le gouvernement a récemment mis un bémol à la dénonciation de ces exactions. Cependant, si le gouvernement se fait plus discret sur la question, les associations locales reprennent le flambeau avec ardeur.L’une de ces organisations impliquées dans la plainte déposée à New York, le Center for Gender, Family and Environment in Development (CGFED) s’efforce de recueillir le maximum de témoignages des victimes. “Maintenant que nous avons intenté un procès, les langues commencent à se délier”, affirme Pham Kim Ngoc, directrice adjointe du CGFED, qui a organisé la conférence en mars dernier.

 

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